Inflation : une hausse des prix soudaine et durable aux causes et effets multiples

Plus de 7% en France, 9% en Allemagne et même 20% dans certains pays de la zone euro… L’inflation, apparue assez soudainement en 2022, atteint des niveaux plus vus depuis des décennies. Elle se maintient en 2023. Que faut-il penser de ce retour de la dépréciation monétaire ?
Pendant plus de 30 ans, l’inflation, c’est-à-dire la hausse généralisée et durable des prix des biens et services, est restée basse. En France, elle oscillait entre 0 et 3%, voire 4%. Parfois, comme en 2015-2016 et lors de la récente pandémie, elle a même été nulle, voire légèrement négative. Depuis l’été 2021, l’inflation a brusquement augmenté. Entre juillet 2021 et juillet 2022, elle est passée de 1,5% à 6,8%. Début 2023, elle atteint même 7,2%. Néanmoins, la France reste en dessous du niveau de la zone euro (8,5% en février 2023 après 9,1% en août 2022). Dans certains petits pays européens, l’inflation atteint 10, voire 20%.
Les banques centrales, attachées à la stabilité monétaire, ont au début considéré que le phénomène ne serait que passager. Elles ont dû adapter leur stratégie car l’inflation s’est installée durablement dans la zone euro et hors zone euro (6,5% aux États-Unis fin 2022 après 8,5% en juillet 2022). Pourquoi cette flambée soudaine ? Faut-il s’en inquiéter ? Comment lutter contre cette inflation ? Est-ce le début d’un nouveau cycle économique ?
Pourquoi l’inflation est-elle soudainement élevée ?
Les pays occidentaux sortent d’une très longue période d’inflation très basse. Il faut en effet revenir aux années 1980 pour retrouver les niveaux actuels.
Le phénomène de l’inflation est très complexe. Il n’obéit pas mécaniquement à la théorie quantitative classique selon laquelle l’inflation serait d’abord un phénomène monétaire (une augmentation de la quantité de monnaie en circulation implique tôt au tard la hausse de l’inflation). Lors de la longue phase de taux directeurs très bas, les banques centrales ont largement contribué à la création monétaire sans que cette forte hausse de la masse monétaire n’ait fait bouger l’inflation (hors valeurs mobilières et immobilières).
La hausse soudaine de l’inflation a cependant de nombreuses raisons, à la fois conjoncturelles et structurelles. Les principales raisons conjoncturelles, donc plutôt transitoires, sont :
- un phénomène appelé « effet de base ». L’inflation est habituellement mesurée sur un an et, à la suite de deux ans de pandémie, le niveau d’inflation qui sert de référence est particulièrement bas ;
- la réouverture après la pandémie. Depuis la reprise de l’activité après la crise Covid, les consommateurs rattrapent une partie de leur demande reportée. Pendant une telle reprise de la demande, il est assez facile pour les entreprises d’augmenter un peu les prix sans perdre de clients. La réouverture a également des effets sur l’offre : le rétablissement des chaînes d’approvisionnement et d’acheminement est chronophage et onéreux. La politique zéro-Covid de la Chine (fermeture d’usines, voire de villes entières dès apparition de quelques cas) a rendu ce processus encore plus compliqué. Une demande plus forte rencontre une offre réduite : les prix montent ;
- la guerre en Ukraine. Depuis février 2022, l’intervention militaire russe en Ukraine fait monter les prix de nombreuses matières premières (pétrole, gaz, huile, blé). La baisse des exportations ukrainiennes tarit l’offre sur les marchés et pousse les prix à la hausse. Par ailleurs, les sanctions contre la Russie obligent de nombreux pays à réorganiser leurs approvisionnements, un processus complexe et coûteux ;
- la relance budgétaire massive. Afin d’éviter l’effondrement des économies et de maintenir les revenus, beaucoup de pays ont creusé leur déficit pour mettre en place des programmes d’aides. Ainsi, en France, les dépenses publiques ont bondi de 4% en 2021 après +5,1% en 2020. En 2022, le gouvernement a lancé un programme d‘aides de soutien au pouvoir d’achat. Certains pays ont mis en place des programmes de relance exceptionnels, notamment les États-Unis (pour rénover les infrastructures et réduire l’emprunte carbone). Ces dépenses publiques stimulent la demande et accentuent la pression inflationniste ;
- la faiblesse de la monnaie unique. La baisse de l’euro a commencé en 2021 et s’est accélérée en 2022 et l’euro a atteint la parité avec le dollar. L’euro s’est également déprécié par rapport à d’autres monnaies comme le franc suisse. Cette baisse de l’euro renchérit le prix des importations, dont notamment le prix des énergies fossiles et renforce ainsi l’effet d’inflation importée.
L’énergie joue un rôle à la fois conjoncturel et structurel. Après la levée des restrictions liées au Covid, les prix de l’énergie ont massivement grimpé. Les prix à la consommation du gaz, des carburants et dans une moindre mesure de l’électricité ont fortement augmenté en France entre décembre 2020 et octobre 2021 (respectivement de 41%, 21% et 3%). Sous l’effet de la guerre en Ukraine, la tendance s’est poursuivie en 2022 dans l’ensemble de la zone euro : le taux d’inflation annuel de l’énergie y a atteint en octobre 2022 41,9%. Ce taux a certes baissé depuis (13,7% en février 2023), mais les tensions géopolitiques, l’épuisement des énergies fossiles, ainsi que la transition écologique vont continuer à mettre les prix de l’énergie sous pression et faire de ce facteur un élément structurel concourant à la hausse des prix.
Les autres facteurs structurels en faveur de l’inflation sont :
- l’effet de « la loi de l’offre et de la demande ». La pandémie a affecté les modes de vie et de travail et elle a modifié certains besoins. Les achats de certains produits (biens informatiques et électroniques, matériel d’amélioration de l’habitat, etc.) ont bondi pendant et après la pandémie et ont dépassé les stocks des entreprises. Certains composants comme les semi-conducteurs sont difficiles à obtenir, voire en rupture de stock : les prix augmentent ;
- la politique monétaire des banques centrales entre 2008 et début 2022. Pour contrer les différentes crises depuis 2008, les principales banques centrales ont pratiqué une politique monétaire dite d’assouplissement quantitatif (quantitative easing), leurs outils traditionnels (notamment la baisse des taux d’intérêt et des réserves obligatoires) se révélant insuffisants. Cette politique non conventionnelle consiste à acheter massivement des actifs financiers, y compris la dette publique, pour injecter un maximum de liquidités dans l’économie, afin de relancer l’économie et l’inflation. Longtemps, cette politique a surtout créé de l’inflation du côté des actifs financiers (notamment actions) et de l’immobilier. Aujourd’hui, les volumes colossaux de liquidités ainsi créés font face à une économie dont le potentiel de production est plus limité qu’autrefois (effets de la pandémie et économie mondiale plus fragmentée).